A la recherche de Pearl...

Cinq mois s’étaient écoulés. Cinq mois de bonheur pur.

Nous étions finalement restés au Refuge.

Les journées s’écoulaient comme dans un rêve sauf que c’était réel.
Nous vivions en parfaite harmonie avec Kala et son petit.

Nos équipages avaient rejoints de temps en temps différents ports car Eyrin avait désormais la possibilité d’ouvrir des portails.
Tous avaient été très discrets, il n’y avait eu aucune anicroche. Rendez-vous était pris en un lieu discret, éloigné des habitations, un portail était ouvert et nos membres d’équipages, par roulement, allaient se détendre dans les ports qui leurs convenaient.

Tous étaient revenus pour fêter avec nous l’anniversaire de Pearl.
Cela n’avait pas été une demande ou un ordre, juste un souhait de chacun d’être présent car nous formions véritablement une grande famille.

Telle une petite reine, Pearl avait été au centre de toutes les attentions. Elle avait été couverte de cadeaux.

La seule ombre au tableau était l’absence d’Eyrin.
Alors qu’elle avait participé aux préparations, elle n’avait plus donné signe de vie depuis le matin.
Elle avait juste indiqué qu’elle partait chercher  un cadeau spécial et qu’elle aurait peut-être un peu de retard, mais là le dessert allait être servit et elle n’était toujours pas revenue.

Devant l’impatience de Pearl, je demandais d’un regard son avis à Anne.
Devions-nous encore attendre ?
Notre fille avait déjà ouvert la majorité de ses cadeaux. Tout au long de la journée les hommes et femmes de notre équipage qui la considéraient tous comme une petite sœur lui avaient offert qui un objet sculpté, qui un vêtement, qui un bijou, un accessoire, du parfum, des poupées, des jouets….

Soudainement, alors que six marins apportaient un énorme gâteau surmonté de bougies, l’air sembla crépiter  près de Pearl, puis une vibration monta du sol et un portail s’ouvrit alors qu’un vent puissant balayait tout sur son passage, faisant s’élever les vêtements, emportant les objets légers sur plusieurs mètres, soulevant le sable qui vint fouetter les visages, forçant beaucoup à abriter leurs visages derrière un bras replié.

Le sol trembla. Kala gronda. Le portail s’ouvrit et Eyrin apparu.

Mon sang se glaça.

« Ce n’est pas Eyrin. »

Ses yeux étaient dénués de pupilles, d’un noir insondable. Elle saisit le bras de Pearl et l’attira aussi vite dans le portail qui commença à se réduire.

«  Anne ! »

Attrapant sa main, je me précipitais vers le portail.
Je ne savais pas où il nous conduirait, ce qui nous attendait, mais jamais nous n’abandonnerions notre fille.

Pearl avait l’apparence d’une enfant de huit ans, pourtant elle n’avait qu’un an. Cela faisait un an qu’elle était là et nous avions passé très peu de temps avec elle durant ses premiers mois de vie. La vie de pirate et sa sécurité nous avaient poussé à la laisser sur le refuge lorsque nous devions voyager. Aujourd’hui, je m’appliquais à rattraper ce temps perdu, lui offrant tout ce que je pouvais lui offrir, passant énormément de temps avec elle afin de l’aimer et de la chérir comme elle le méritait. Nous avions décidé de rester sur le dos de Kala, profitant ainsi d’une bonheur paisible où nous goutions à une vie tranquille remplie d’amour. Les équipages du [Revenge et du Jolly Roger vivaient au gré de leurs envies, venant nous rendre visite régulièrement, se rendant dans les ports qu’ils choisissaient pour profiter des plaisirs qu’on y trouvait. Chacun avait trouvé un rythme de vie qui lui convenait et chacun avait choisi de venir assister à l’anniversaire de Pearl.

Notre fille avait retrouvé avec joie nos compagnons de voyage. Le tableau sous mes yeux avaient quelque chose d’incongru. Ma petite princesse dans sa belle robe circulait avec aisance au milieu de ses marins aux allures effrayantes. Chacun lui avait offert un petit présent : figurines de bois, poupées, peluches et autres babioles qui la faisait rire ou sourire. D’autres avaient pensé à ramener des friandises exotiques qui ravissaient les papilles de ma fille qui revenait tout sourire, brandissant ces bonbons en criant : “Regaaaarde maman ! C’est trop bon ! Goûte !”. Elle fourrait alors l’une des sucreries dans ma bouche en riant avant de filer à toutes allures pour aller voir les autres invités. Souriant face à son bonheur, je mangeais ce qu’elle m’offrait. La fête se déroula tranquillement, mais nous avions tous remarqué qu’Eyrin n’était toujours pas de retour. Elle devait aller chercher un cadeau pour la reine de la journée, mais n’avait pas donné signe de vie depuis son départ. Le dessert allait arriver et aucune trace de l’esprit de la nature. Pearl finit par réclamer la présence son amie et face au regard interrogateur de Killian, je ne savais quoi répondre. Ouvrant la bouche pour dire quelque chose, je fus interrompue par l’arrivée du gâteau d’anniversaire qui était énorme. Les marins apportaient la pâtisserie à mon louveteau, espérant la distraire de l’absence d’Eyrin. Assise face à la table, l’enfant applaudissait en voyant le gâteau, mais l’atmosphère festive laissa rapidement place à quelque chose de plus inquiétant. Le sol trembla légèrement alors que quelque chose se formait près de ma fille. Avançant vers elle, je fus surprise par l’apparition d’une étrangère auprès de Pearl. Je n’eus pas le temps de réagir que l’esprit l’attrapa pour l’embarquer à travers le portail qui venait de se former. Sans réfléchir un instant, je laissais Killian m’emmener dans ce passage afin de récupérer notre enfant.

A peine avions nous franchis le portail qu’une vive lumière blanche nous aveugla avant de nous plonger dans le noir.

Ouvrant doucement difficilement les yeux, je fus frappé par une odeur marécageuse… Me redressant doucement, je regardais autour de moi sans reconnaitre les lieux. Que s’est-il donc passé…? Je tentais de remettre mes idées en place. Tout me revint soudainement à l’esprit. L’anniversaire. Pearl. Le portail. Le mauvais esprit. Une vague d’angoisse me submergea… Pas encore… Je ne pouvais pas perdre Pearl… J’avais déjà perdu William. Imaginer pouvoir me retrouver sans ma fille me brisa le coeur. Cherchant une odeur une familière pour me rassurer, je remarquais enfin Killian à mes côtés. Me tournant vers lui, je m’agenouillais près de lui.

- Réveille-toi… Par pitié… Réveille-toi… Suppliai-je en le secouant doucement.

Les larmes commençaient à rouler sur mes joues. Je l’entendais respirer, mais l’absence de Pearl m’affolait… Levant les yeux, je remarquais trois autres corps autour de nous. Trois membres d’équipage nous avaient suivi...

L’angoisse dans la voix d’Anne me tira de mon inconscience. J’avais mal au crâne comme après la pire de mes gueules de bois, sauf que là je n’avais pas la bouche pâteuse. Juste la tête en vrac. L’esprit embrumé.

Ouvrant les yeux, je ne reconnu pas l’endroit.
Il faisait chaud et une humidité poignante empreignait tant l’air que j’avais l’impression de respirer de l’eau. Une eau croupie et puante mélange de végétation pourrissante et de choses indéfinissables.

Me redressant je cherchais autour de nous Pearl du regard. Elle n’était pas là.
Je n’avais pas lu de peur sur son ravissant visage. Juste de la surprise. Mais elle nous avait été enlevée.

Attirant à moi Anne, je la serrai contre mon torse brièvement, juste pour nous rassurer l’un et l’autre que nous étions là, ensembles, bien vivants. Que ce n’était pas une illusion.
Puis l’écartant pour qu’elle puisse lire ma détermination dans mon regard, je lui dis, sûr de moi.

« On va la retrouver. »

Je ne savais pas encore comment, ni où, mais je sentais au fond de moi que nous allions la retrouver. Quoi que cela nous coûte.

Me relevant, j’allais voir les trois membres d’équipage qui nous avaient suivis. Il s’agissait de Rayan, mon mousse, de Kévin notre vigie aux yeux de lynx et à l’agilité hors pair et d’un homme du Revenge dont je ne me souvenais plus nom. Ils reprenaient conscience et se mirent à regarder autour d’eux, inquiets.

Nous étions sur un îlot, entourés de toutes parts d'arbres aux racines monstrueuses, telles les pattes énormes et difformes de monstres gluants, qui laissaient retomber de leurs branches des lianes qui semblaient chercher à s’abreuver dans l’eau croupie et nauséabonde.  

« Capitaine. »

Suivant le regard de Kévin, j’observais le ciel.
La disposition des étoiles ne m’était en rien commune. Je ne parvenais pas à me repérer et ma vigie non plus.

« Nous ne sommes plus sur les sept mers. »

Ni sur les sept mers, ni dans le monde que nous connaissions.

La demi-lune orangée au-dessus de nous semblait se moquer de notre désarroi.

La louve jappait, grognait, hurlait… Elle voulait son louveteau. Maintenant. Elle était aussi furieuse qu’inquiète alors que l’humaine angoissait et paniquait. Comment ne pas céder à l’angoisse ? Ma petite fille avait disparu. Emportée par une créature inconnue dont j’ignorais tout. La perte de William m’avait profondément changée. J’avais eu beaucoup de mal à faire mon deuil et à accepter l’idée que je pouvais être heureuse. Je savais que je ne ne parviendrais pas à me relever si je devais perdre Pearl. Cependant, je devais me ressaisir rapidement. Ce n’était pas en me laissant gagner par la peur que je parviendrais à retrouver ma fille. Aussi, je me redressais doucement pour chercher un point de repère. N’importe quoi… L’affreuse odeur qui régnait dans l’air rendait mon odorat presque inutile… L’humidité était pesante et difficile supportable. Tournant la tête, je remarquais enfin Killian. M’approchant de lui, je le suppliais de se réveiller. Sa respiration était calme et forte : il allait bien. Je le vis ouvrir les yeux avec difficulté avant de se redresser. Il m’attira vers lui pour me prendre contre son torse, m’assurant qu’il était bel et bien là. Sa présence n’était pas le produite de mon imagination. Il me fit ensuite reculer pour que je puisse le regarder. Il affirma que nous la la retrouverions. Pas la peine de citer son nom pour comprendre de qui il parlait. Pearl. Il fallait la retrouver.

- On doit la retrouver… Et vite…

Avant que le pire n’arrive. Pourquoi avoir enlever une petite fille ? Elle n’avait qu’un an, même si elle en paraissait plus… Ce n’était qu’une enfant innocente. Tout ce qu’elle avait connu, c’était Kala. Personne ne connaissait son existence. Nous l’avions cachée dans le but de la protéger. Comment un ennemi avait-il pu savoir qu’elle existait ?

Killian finit par se lever afin d’aller voir les membres d’équipage arrivés avec nous. Il y avait Ryan et Kevin du Jolly Roger ainsi que James du Revenge.Au moins, nous n’étions pas complètement seuls pour notre quête. Restant au côté de mon époux, je regardais les étoiles ainsi que les paysages : rien ne m’était familier. Malgré tous les voyages que j’avais pu faire, cette contrée m’était complètement inconnu. Le ciel était également une énigme. Je ne reconnaissais aucune constellation. Ce fut Kevin qui mit des mots sur nos idées les plus sombres : nous n’étions plus sur les Sept Mers. Nous étions ailleurs…

- Nous aurions… changé de monde ?

En réalité, c’était plus une affirmation qu’une question. Si nous ne reconnaissions pas le ciel, c’était que nous n’étions vraiment pas chez nous. Nous étions très loin… Et si Pearl était dans un autre monde que celui-ci ? Comment la retrouver et comment rentrer chez nous ? Je n’avais pas de haricot magique nous la main… La situation me glaçait le sang et commençait à affoler la louve jusque là simplement en colère. Je savais que mon regard avait pris une teinte couleur ambre. Je me trouvais sur la corde raide, la louve n’était pas loin… Je tentais tout de même de garder contenance pour rester maîtresse de moi-même.

- Tout ceci a été mené par une magie puissante… Je ne comprends pas comment ça a pu arriver… L’existence de Pearl était un secret… Comment un étranger a-t-il pu savoir qu’elle était là…?

On allait la retrouver. Aucune autre option n’était envisageable.
Je sentais ma gorge se serrer, mais je ne pouvais montrer de signe de faiblesse.
Je savais combien cela avait été douloureux pour Anne de perdre William et la souffrance qui déchirait mon âme en pensant à ce que pouvait endurer Pearl en ce moment devait être décuplé au centuple chez celle qui était plus que ma vie. Que mon âme. Ma femme.

Serrant les dents, j’opinais de la tête.
Oui. Nous avions changé de monde. Cela ne faisait aucun doute.
Cela voulait dire, aucun repère, aucune aide, l’inconnu et l’incertitude.
Chassant la petite voix en moi qui se mettait à souligner mon impuissance, je cherchais du regard un indice, un signe. Kévin fut plus rapide que moi.

« Là ! »

Au bord de l’eau une fleur blanche.
Une petite fleur aux fragiles pétales qui venait du dos de Kala. Une petite fleur que Pearl arborait sur ses cheveux ténèbres lors de sa fête.

« Elle est maligne. »

Oui. Je ne doutais pas un instant que cette fleur blanche ait été lâchée intentionnellement. Pour nous servir de piste. Pearl était intelligente. Et vivante.

Maintenant tout comme un portail avait été ouvert ici, rien ne disait qu’un autre n’ait été créé de même pour nous perdre. Ne souhaitant alarmer Anne, j’évitais le sujet et ramassant avec précaution la fleur je la lui tendis.

Peut-être qu’avec son odorat de louve elle pourrait trouver une piste.

Grâce à la Lune nous pouvions discerner les différents ilots qui nous entouraient.
Ici tout était étrange. Les arbres dont les racines s’élevaient de l’eau comme si la sylve cherchait à s’arracher de cette gangue puante et fétide. Les lianes qui coulaient de leurs branches tels des liens cherchant à plonger au plus profond de cette écœurante substance liquide et noirâtre qui entourait notre ilot de terre molle.

« Des traces de pas. » Rayan avait posé un genou à terre non loin de l’endroit où la fleur avait été trouvée.

A une distance de quelques mètres se trouvait un autre ilot. Avec de l’élan il était possible de le rejoindre. Etait-ce le chemin qu’elles avaient pris ?  
Au loin, très loin semblait se dessiner une lueur. Peut-être un feu de camp ?

Il ne fallait pas laisser la louve prendre le dessus. Si elle venait à prendre l’entier contrôle de ma personne, le pire pourrait arriver. Et ce n’était pas en laissant la peur triompher que je parviendrais à retrouver Pearl. Je devais garder l’esprit clair, la tête sur les épaules pour agir en conséquence, pour ne pas prendre de décision hâtive qui provoquerait des catastrophes. Aussi, je tentais de rester calme et de réfléchir. La première évidence était que nous n’étions plus dans notre monde. Un sortilège puissant nous avait emportés quelques  parts, dans un ailleurs où nous n’avions aucun repère, ou nous étions complètement seul. Cette fois, nous ne pourrions pas faire appel à des alliés, à des amis… Nous n’étions que tous les cinq. A notre petit groupe restreint, nous allions devoir affronter les dangers de cet univers pour retrouver notre fille. Cette situation était complètement inédite, jamais une telle chose ne m’était arrivée. Mais la douleur de la disparition d’un enfant était bien trop familière. C’était une douleur sourde, étouffante, écrasante qui broyait le cœur. Il fallait pourtant que je parvienne à faire face. Pour Pearl. Pour nous tous. Restant aux côtés de Killian, je me tournais vers Kevin qui avait trouvé une fleur blanche. Ces pétales avaient décorés la belle chevelure brune de mon louveteau. J’étais d’accord avec mon époux. Notre enfant était remarquablement intelligente. Elle nous avait laissé une trace de son passage. Elle était en vie. Un souffle de soulagement me rassura légèrement. C’était déjà une bonne nouvelle… Killian me tendit la petite plante pour que je tente de trouver une piste. L’humidité et l’affreuse odeur qui régnaient ici parasitait mon odorat mais je pouvais toujours essayer. Hochant la tête d’un air entendu, je pris ma forme de louve et vins l’odeur de la fleur. Elle avait son parfum sucré, mais elle était aussi imprégnée de celui de Pearl. Sentir son odeur me réchauffait également le cœur.
Levant la truffe, je tentais de flairer une piste. Me concentrant autant que possible, je laissais échapper un jappement de rage en ne trouvant rien… L’odeur du paysage était trop prenante et emplissait mon nez, mes poumons. Impossible de distinguer quoi que ce soit ainsi. L’air ambiant me donnait même la nausée. Reprenant forme humaine, je fis secouais la tête.

- Je ne sens rien, mis à part l’odeur des marécages…

Cette situation me dépassait complètement. Je me sentais impuissante… Si même ma nature de louve ne pouvait pas nous aider, qu’allions-nous faire ? Soudain, Ryan nous indiqua qu’il avait trouvé des traces de pas. M’avançant vers lui, j’observais les empreintes. Ce n’était pas celle de Pearl, peut-être celles de celui qui l’avait enlevée. Je ne comprenais toujours pas qui avait eu vent de son existence et je ne savais pas pourquoi on aurait eu envie de m’enlever ma fille. Relevant le nez pour regarder plus loin je vis un autre îlot où brillait une lueur. Il y avait quelqu’un là bas. Qui ? Des ennemis ? Pearl était-elle là bas ? Malheureusement, nous étions séparés de la petite île par les sombres marécages… Je n’avais aucunement envie de mettre mes pieds dedans… Allez-savoir quelles créatures se cachaient là dedans. Et pour l’anniversaire de ma fille, j’avais eu la brillante idée de m’habiller d’une longue jupe couleur pourpre. Rien de très pratique pour une randonnée dans un tel lieu.

- Nous devons aller voir sur cet îlot… Il n’y a plus personne ici. Soufflai-je.

Finalement, je retrouvais ma forme lupine. Reculant de quelques pas pour prendre un peu d’élan, je me mis à courir avant de bondir de l’autre côté. Pour une grande louve, ce n’était pas un si grand saut, mais pour des humains… Je n’étais pas certaine que ça serait aussi simple. Me tournant vers mes compagnons de voyage, j’attendis qu’ils prennent leur décision. D’un regard, je fis comprendre à Killian que j’étais prête à y aller seule, qu’importe le danger. J’affronterais tous les dangers pour notre enfant.

Il était hors de question de laisser Anne partir seule. Et je n’étais pas le seul à le penser.
Kévin ma vigie me fit un signe de tête et avec un sourire malicieux à Rayan il lança.

« Prêt ? »

Un sourire jumeau lui répondit sur le visage du mousse et reculant au bord de l’îlot, l’adolescent courut vers Kévin qui s’était accroupi face à lui, sauta sur ses mains jointes réunies devant lui et fut propulsé vers la louve. En véritable petit singe, Rayan attrapa une liane et se percha en haut d’un arbre, puis attachant une branche morte à la plante grimpante pour faire contrepoids, il nous la renvoya. De mon crochet je récupérais cette corde végétale et chacun de nous après avoir grimpé sur l’un des arbres de notre îlot, se propulsa grâce à la liane sur l’autre ilot.

Avec un sourire crispé à celle qui désormais était ma femme, je dis d’une voix que j’espérai suffisamment ferme pour la rassurer.

« On y va. »

Nous avions perdu assez de temps.
Je sentais la louve bouillir suite à l’enlèvement de son petit. Avoir perdu déjà un enfant réveillait forcement une douleur insoutenable. Je ne pouvais l’imaginer mais sentant déjà celle qui me déchirait face à l’absence de Pearl j’avais mal pour elle. Pour nous.

Avec plus ou moins de difficultés, nous rejoignîmes l’îlot, plus grand, d’où venait le feu.
Sur le chemin, deux nouvelles petites fleurs blanches nous avaient confortés sur le probable passage de notre fille. Probable car je n’écartais pas l’idée d’un piège.

Quelques fois nous avions trouvé aussi des petits pas de pieds. Mais rarement. L’être qui l’avait kidnappé devait la porter. Un moyen efficace pour qu’elle ne laisse pas de trace olfactive au sol.

Tout en avançant rapidement sur sa piste, mille questions se bousculaient dans ma tête. Qui était derrière tout ça ? Pourquoi ? Comment avait-il ou avait-elle en savoir autant sur nous ? Cela avait été si rapide. Le portail et maintenant cette façon de se déplacer dans cet endroit inconnu qui se prêtait merveilleusement bien à dissimuler leurs traces. De toute évidence, il s’agissait d’une personne expérimentée. Décidée. Qui savait exactement ce qu’elle voulait.

Par signe, je donnais mes consignes à Rayan et Kévin pour qu’ils encerclent le campement.
Silencieusement l’étau se resserrait. J’avais demandé à Anne de contenir la louve ; il nous fallait des réponses car il y avait bien  deux personnes autour du feu de bois, mais les voix graves trahissaient leur nature masculine.

Accroupis j’écoutais leur conversation. Ils semblaient fort heureux d’avoir fait une bonne affaire. Deux manteaux crasseux et une monture contre deux gemmes. De l'argent rapidement gagné. Un contrat comme ils en voudraient d'autre plus souvent.

Killian ? Me laisser filer seule ? Même si j’y avais songé un instant, je savais très bien qu’il ne me laisserait jamais aller au devant du danger sans escorte. Oubliait-il que j’avais été seule pendant un temps ? Que j’avais affronté mes peurs, mes craintes et mes angoisses dans la solitude ? Je n’avais jamais été une petite bourgeoise bien sage et apeurée. J’avais toujours eu un caractère bien trempée, prête à me mettre dans les pires situations afin d’atteindre mes objectifs. J’avais envoyé valser toute mon éducation, fuit ma famille pour m’engager dans la piraterie afin de venger William. J’avais traversé le pays entier seule pour rencontrer Rackham et m’engager sur son navire. De là, j’avais changé d’identité afin de devenir une hors la loi tout en jouissant des richesses de mon premier époux, jonglant à la perfection entre mes deux noms pour avoir une solution de repris. J’étais débrouillarde et intelligente. Capable de tout même en solitaire… Cependant, je savais que si les rôles étaient inversés, je ne le laisserais pas seul. Je comprenais donc sa volonté de m’accompagner. Ses matelots mirent tout en oeuvre pour me rejoindre, je m’écartais du bord de l’îlot pour leur laisser la place. Ces hommes firent un grand numéro d’acrobates avant de renvoyer une liane qui permit à tout le monde de me rejoindre.

Aucun des quatre pirates ne semblaient me craindre. Ou craindre la louve qui s’agitait, qui rageait contre son impuissante. Je la contenais mais ses inquiétudes rejoignaient les miennes, et j’avais bien du mal à garder le contrôle sur cette souffrance. Il serait si simple de me laisser aller à l’instinct et à la sauvagerie pour moins souffrir. Il serait si simple de me protéger en laissant la louve agir sans que je ne lui dicte sans conduite. Elle était moi, comme j’étais elle. Mais elle réfléchissait moins, et laissait ses instincts lui dicter sa conduite sans prendre le temps de penser, de réfléchir. Elle laissait moins parler ses émotions pour agir… Mais Killian me demandait de garder le contrôle. Un grognement de frustration m’échappa. Il avait raison pourtant… La louve ferait tant de dégât. Elle s’en prendrait à tout le monde. Sauf à lui. Il était sa meute, mais Kevin, Ryan et James ne jouissaient pas d’un tel privilège. Seuls Killian et Pearl ne risquaient rien en présence de mon moi sauvage. Aussi, je pris le temps de calmer mes instincts primitifs pour suivre les pirates d’un pas silencieux.

En nous approchant du feu de camp, nous pûmes observer un duo d’hommes ravis par leur prise : deux gemmes. Mais aucune trace de Pearl. Sur le chemin, nous avions trouvé les fleurs de sa couronne, mais c’était tout. Regardant attentivement la scène, je m’attardais sur la prise des deux individus. Je repris forme humaine, me retrouvant assise en tailleur à même le sol.

- La pierre rouge était sur le bracelet de Pearl… Murmurai-je entre mes dents. J’en suis certaine… C’est moi qui aie demandé cette forme particulière au lapidaire…

Parmi toute cette folie, cette douleur qui me déchirait, elle était mon ancre, ma lumière.
La voir reprendre forme humaine me fit ressentir une chaleur apaisante au niveau du cœur.
Sans le savoir, elle me redonnait espoir. Elle était ma force, ma vie et avec elle je me sentais prêt à déplacer des montagnes.
Nous allions retrouver notre fille. Pearl. Ce n’était qu’une question de temps.
Par signe, Kévin m’indiqua qu’il n’y avait personne d’autres. Rayan fit de même quelques secondes après.

De mes doigts je remis en place une mèche de cheveux derrière l’oreille d’Anne et lui sourit avec le plus chaleureux sourire que je pus.

« On va les interroger. Reste en retrait s’il te plait pour nous couvrir. »

Nous n’étions que peu armés. Mon crochet, deux dagues à la ceinture de chacun des membres de mon équipage.
Un baiser rapide sur ses lèvres et je me relevai pour aller vers les deux hommes lentement.
Aussitôt ils portèrent leur main au sol pour récupérer leurs sabres et leurs pistolets mais Kévin et Rayan jaillirent et les immobilisèrent de leur dague appuyée sur leurs glottes.

« Messieurs, Messieurs… » Commençais-je d’une voix bien plus calme que je ne pensais pouvoir produire. La main et le crochet écarté à hauteur des épaules, je tachais de leur montrer une bienveillance que démentaient les lames sur leurs cous.

« Je me présente Capitaine Crochet. J’ai quelques questions  à vous poser et vous allez y répondre. Soit rapidement sans blessures, soit dans une douloureuse et lente agonie. Le choix est vôtre, mais vous aller me dire ce que je veux savoir. »

Ils échangèrent un regard, l’un d’eux puait la pisse et une auréole était en train de se dessiner au niveau de son entrejambe.
Lentement, les mains écartées ils opinèrent lentement du chef.

« Bien. Vous avez croisé une petite fille aux cheveux noirs et quelqu’un qui l’accompagnait. Décrivez-moi cette personne avec le maximum de détails et répétez-moi toutes ses paroles. Si je suis satisfait, nous ne vous ferons aucun mal et vous pourrez même conserver les gemmes qu’il vous a données. »

Simultanément, Kévin et Rayan appuyèrent sur la pomme d’Adam des deux bandits et sans résister davantage ils se mirent à tout déballer.

« C’était un homme, petit, au visage de fouine. »

« C’est un mercenaire. Il est connu. Il s’appelle Wallace Hawke. » Ajouta son compère, ce qui lui valut un regard terrorisé de l’autre malfrat.

« Ben quoi ! » Se justifia le second. « Lui n’est pas là et je n’ai pas envie de laisser ma peau pour le couvrir »

« Où doivent-ils aller ? »

La question qui me brûlait les lèvres était surtout * L’enfant avait-elle peur ?* mais je savais Anne aux aguets et je ne voulais pas qu’elle leur saute au cou et les tuent sans autre forme de procès. Il me fallait un maximum de réponses pour sauver Pearl.

Nous aurions dû passer une belle et bonne journée… La première bougie de Pearl. Bien qu’elle ait l’apparence d’une enfant de sept ou huit ans, il ne fallait pas oublier qu’elle n’avait qu’un an. Une seule année passée à ses côtés, une année où nous ne l’avions pas vue tous les jours, ou nous avions manqué certaines étapes de sa vie. La piraterie laissait peu de place à la vie de famille, avant de choisir de vivre sur Kala, nous avions continué à voyager, laissant notre fille au soin de l’esprit de la Nature… En somme, nous n’avions eu quelques mois avec notre enfant avant que l’on vienne l’arracher à nos bras. Ce sentiment d’impuissance et de désespoir m’était familier. William n’avait que deux ans lorsqu’il fut enlevé… Etait-ce donc mon sort que de voir mes enfants disparaître ? Etait-ce donc une volonté que de m’arracher le fruit des mes entrailles ?
S’il n’était pas là, la louve aurait pris le dessus, protégeant ainsi l’humaine au coeur brisé. Il aurait été si simple d’aller me réfugier dans mes instincts les plus sauvages. Mais Killian était bel et bien là, à mes côtés, tentant de rassurer mes pires craintes, assurant que nous retrouverions notre Pearl. Le bijou que j’avais fait confectionner pour elle se retrouvait à présent entre les mains d’étrangers, c’était le début d’une piste. Dans le fond de mon esprit, j’entendais la louve grogner, l’envie de dévorer ces hommes lui rongeaient les tripes, ainsi que les miens. Les doigts de mon aimé près de mon visage me ramena à la réalité, calmant ma rage. Son sourire réchauffa quelque peu mon coeur, mais sa demande me fit grimacer. Rester en retrait ? Cette idée me faisait grincer des dents, et dans le fond, il le savait. Je hochai simplement la tête avant que ses lèvres ne s’emparent des miennes pour un bref baiser.

Regard couleur ambre, je regardais la scène avec attention tout en écoutant la conversation et les bruits aux alentours. Pour le moment, il n’y avait que nous. James suivit Killian et ses matelots, armé d’un poignard et d’une fine épée. Il assistait l’équipage du Jolly Roger comme s’il s’agissait de celui du Revenge, depuis quelques temps, les deux navires ne faisaient quasiment plus qu’un.

Le capitaine Crochet menait l’interrogatoire, effrayant ainsi ses proies. J’essayais de retenir l’échange dans toute son intégralité, peut-être que dans chacune des phrases des trouillards se dissimulaient une information importante. Fronçant légèrement le nez à l’odeur de l’urine, je levais les yeux au ciel face au manque de courage du plus jeune d’entre eux. “Wallace Hawke” ? Ce nom ne me disait rien, et pourquoi enlever une petite fille ? Comment le commanditaire de cet enlèvement connaissait-il l’existence de ma fille ? Etait-ce un moyen d’atteindre Killian ou moi ? Ou est-ce que Pearl était-elle réellement la cible de toute cette affaire ? J’avais trop de questions en tête, il y avait tant d’hypothèses possibles, tant de choses à découvrir…

- On l’ignore… Il voulait juste nous échanger quelques biens.
- Mais ils n’iront pas très loin, la petite était inconsciente.

Inconsciente ?! Comment ça inconsciente ?! Une peur panique m’envahit soudainement…

Et la louve sortit de sa cachette. Lentement, elle sortit des fourrés afin de s’approcher des pirates et des opportunistes. La blancheur de ses crocs brillaient au milieu de ce pelage couleur ébène. Les gémissements de son louveteau résonnaient dans ses oreilles, son petit était loin d’elle, et avait besoin d’elle. Le désir de le retrouver se faisait plus pressant, la louve voulait savoir comment allait son tout petit… Son regard couleur or se posa sur la capitaine au crochet. Le seul humain qui avait gagné sa confiance et qui faisait parti de sa meute, le seul qui ne craignait rien et qu’elle n’attaquerait jamais plus…

- Par pitié… Que personne ne crie ou ne fasse de geste brusque… souffla James dans un léger murmur. Je sais que ce n’est pas elle, pas vraiment…

Au son de la voix de cet individu, la louve laissa échapper un grognement sans pour autant bouger… Elle attendait un signe de la part de son compagnon de vie, prête à dévorer le premier qu’il lui indiquerait, ou le premier qui commettrait l’erreur d’avoir un geste maladroit.

Pearl. Inconsciente ?
Comment ?

Elle avait laissé des traces de son passage.
Ou alors était ce son ravisseur qui faisait en sorte qu’on le suive. Un piège ?
Le souvenir douloureux d’un autre guet-apens me serra les entrailles. J’écartais vite ce souvenir pour me recentrer sur le présent. D’autant qu’un craquement suivit de l’apparition d’Anne éleva d’un degré supplémentaire la tension autour du feu de bois.

« Je vous conseille ne pas bouger. » Ajoutais-je pour appuyer la supplique de James.

Devoir gérer avec diplomatie ces deux vauriens qui ne me donnaient que l’envie de leur arracher la tête et les entrailles pour ne pas avoir défendu Pearl et en plus Anne devenait problématique.
Il fallait que je fasse vite.

De ma main je fis signe à la louve de rester calme. Je me positionnais entre eux. Les brigands tremblaient, celui qui s’était fait dessus sanglotait déjà.

« Il va me falloir des réponses et vite. Je ne vais pas pouvoir la retenir longtemps. »

D’un hochement de tête, celui qui semblait le plus calme me fit comprendre qu’il était disposé à coopérer.

« Que vous a demandé Wallace Hawke. Et qui est-il ? »

D’une voix tremblante, le plus bavard s’empressa de lâcher.


« Il nous a demandé notre cheval et nos deux manteaux, puis il a chargé la fillette sur le col et a sauté en selle avant de partir rapidement. »

Ses yeux restaient fixés sur la louve, de la sueur coulait à ses tempes.


« Je l’avais jamais vu mais Wallace Hawke est un mercenaire et un tueur émérite. Il est connu sur tout le continent. Il est cher mais donne toujours satisfaction. »

La main de son compère se dirigea lentement vers sa ceinture. Rayan affirma sa prise sur son poignard qui fit couler un mince filet de sang sur la peau crasseuse de son prisonnier. Se baissant, il retira de la ceinture du bandit un tout petit pistolet à deux coups.
D’un signe de tête, je lui accordais de le confisquer et il le glissa dans son ceinturon.

« Dernier avertissement. Arrêtez de jouer aux cons ou je ne réponds de rien. »

Je sentais derrière moi la fureur de la Louve. C’était la seconde fois qu’on lui arrachait un enfant. Je ne savais même pas comment elle pouvait encore se contenir. Il fallait faire vite.


« Où peut-on le trouver ? Quel est son point d’attache ? »

Un mouvement vif de Kévin qui gardait une poigne sur les cheveux gras et son poignard sur le cou mal rasé, renversa la tête du bavard en arrière.

« LA TERRE DE FEU ! Il a ses habitudes au bar  des trois pichets. »

« Comment on s’y rend ? »

Les deux voyous s’échangèrent un regard commun de surprise.


« Vous connaissez pas ? »

D’un revers du crochet je lui décochais un coup qui l’envoya en arrière juste retenu par  mon mousse.
Mes prunelles dardaient d’un feu qui appelait à la prudence et ravalant sa salive colorée de son sang, il reprit en tremblant, la voix chargée d’espoir.


« Je peux vous guider. »

Il s’achetait ainsi une période indéterminée de sursis. Mais qui nous assurait qu’il allait bien nous conduire là où l’on souhaitait ?
D’un autre côté nous ne connaissions pas du tout les lieux.

« Rayan. Fouille leurs affaires. Vois s’il y a une carte. »

M’adressant au prisonnier, je lui lançais avec un sourire cruel.

« Bouges ne serait-ce qu’un petit doigt et tu verras ce qui t’arriveras. »

Qui ne tremblerait pas devant une telle apparition ? Les loups étaient des animaux communs, généralement fuyards face aux hommes… Mais la louve à la robe de jais n’avait rien à voir avec ces semblables. Elle devait bien faire plus d’un mètre vingt au garrot, ses crocs ressemblaient à de longs poignards aiguisés et son regard reflétait tout sa rage, toute sa haine.

Par deux fois on lui avait rétiré son petit. La première fois, en guise de vengeance, elle avait réduit à néant tout un équipage. Et malgré ce massacre, son coeur n’avait pas retrouvé sa sérénité. Le temps avait fait son oeuvre, calmant son chagrin et sa colère. Aujourd’hui, la plaie s’était de nouveau ouverte, pendant qu’une autre apparaissait. Ces blessures, trop lourdes à supporter avaient contraint l’humaine à se réfugier dans ses instincts les plus sauvages, laissant sa part animale prendre le dessus. Il en était fini de la patience de la réflexion. La louve n’était que les instincts les plus primitfs de l’ancien capitaine Bonny, ses émotions à l’état brut. Le moindre faux pas et il en serait fini de ses adversaires.

Un geste discret de la part de son compagnon de vie calma ses ardeurs. Elle laissa échapper un grognement de frustration, ses mâchoires claquaient dans un bruit inquiétant. James connaissait ces moments de perte. Il avait déjà vue Anne perdre l’esprit… Il l’avait déjà vue enragée et à chaque fois, ça tournait mal. Alors il suppliait l’ennemi de ne pas crier, de n’avoir aucun geste brusque. Killian avait un certain contrôle sur sa Dame, mais un animal sauvage restait sauvage. Même apprivoisé, il restait imprévisible.

Grognant d’impatience, la louve écoutait. Elle comprenait ce langage qui n’était pas vraiment le sien. Elle saisissait le sens général, sans comprendre les nuances et les sous-entendus. Son louveteau avait été faite prisonnière par un individu dangereux, et ça la rendait folle. Et puis il y avait eu ce petit geste, cette vaine tentative de rébellion. Un grognement se fit sourd, mais le matelot du capitaine Crochet réagit avant l’animal et désarma l’otage. S’il y en avait un qui devait mourir, ça serait celui là. Jappements, couinements plaintifs. La louve tournait en rond, elle observait, voulait attaquer, mais il lui demandait patience… Elle obéissait, pour l’instant. Il fallait leur faire confiance à ces idiots. Ni elle, ni son époux, ni leur équipage ne connaissaient les lieux. Leurs prisonniers allaient devoir servir de guide et elle devoir attendre avant d’en faire son repas, avant de déverser sur eux une partie de sa colère. De son désespoir. Elle ronchonna dans un jappement presque humain… Et l’humaine, où était-elle dans cette histoire ? Elle était tapie dans l’ombre, à l’abri du chagrin, reposant paisiblement derrière le monstre qu’elle avait toujours été. L’humanité se cachait derrière l’instinct sauvage… Reprenant force et courage pour peut-être affronter la réalité. Plus tard, pas tout de suite.

La louve observa chaque ennemi un par un grognant. C’était un avertissement. Elle ne leur faisait pas confiance, elle les suivait car ils étaient pour l’instant sa seule option. Elle vint doucement à la hauteur de son maître, de sa moitié, de son amour. Mais au moindre doute, elle attaquerait l’ennemi. La gorge serait sa cible. Un coup de crocs et ils en seraient fini d’eux. Tous, ils puaient la peur, la terreur… Une odeur à la fois délicieuse et exaspérante. Qu’elle en avait envie… Elle voulait tous les tuer. Ils n’avaient pas porter secours à une enfant, ils avaient été laches, aveugles face à la détresse de sa petite fille… Elle observa ensuite Ryan qui fouillait leurs affaires. D’un sac en toile, il sortit une vieille carte en piteux état. Il l’observa un instant avant d’annoncer qu’il avait localisé “La Terre de Feu”. Regardant d’un peu plus près, il précisa qu’il pensait savoir où nous étions et indiqua un amas d’îlots perdus dans les marécages. Pour quitter ces lieux et gagner leur destination, ils allaient devoir prendre le bâteau, impossible d’atteindre La Terre de Feu grâce à leurs pieds, c’était trop loin, trop d’eau à traverser. S’ils étaient arrivés ici, c’était que les trouillards avaient forcément un bateau… Celui qui semblait être le leader fut la cible de rugissements impressionnants… D’une voix tremblantes, il assura qu’il allait les emmener sur son navire… Il indiqua une direction… Il fallait le suivre.

Anne leva les yeux vers son compagnon de vie. Le regard interrogateur, elle voulait savoir si tout cela était une bonne idée, s’ils pouvaient vraiment faire confiance à ce bougre.

Ca ne me plaisait pas du tout. Il y avait anguille sous roche.
Je n’avais aucune confiance dans ces deux brigands qui avaient aidé le kidnappeur d’une petite fille contre quelques pierres précieuses.
Non.
Echangeant un regard avec Anne je me mordis nerveusement la lèvre inférieure puis je braquais soudain mes pupilles brillant du feu de la fureur sur celui qui nous proposait d’embarquer.

« Comme ça tu as un bateau. Et tu as vendu ton cheval et vos manteaux à William Hawke. Tu as dix secondes pour t’expliquer avant que je ne t’ouvre une seconde bouche sous le manteau. »

Mon crochet captura un rayon lunaire et l’homme se mit à glapir. Pleurant à chaudes larmes.


« Non ! Non ! Je jure que c’est la vérité. C’est une barque à fond plat car les fonds ici sont pleins de racines. Nous pourrons aller plus vite qu’eux. Je vous le jure. Le chemin qu’ils ont pris de nuit sera difficilement praticable à cheval surtout de nuit. C’est plus direct mais plus long. L'été a asséché les marais mais pas partout. Ils devront faire des détours »


Son compère acquiesçait désespérément du chef pour confirmer les propos du malfrat.

J’abaissais mon poignet et d’un coup de pied envoyais de la terre sur le feu l’éteignant.

« Très bien. On y va. Et si je me rends compte que vous tentez de nous arnaquer je vous tues sans autre avertissement. Tenez-le vous pour dit. »

Remis sur pieds par nos hommes, ils se mirent en route après avoir ramassés rapidement dans le campement  leurs affaires. J’avais posé ma main sur le col d’Anne. Pour la rassurer. Pour me rassurer. J’avais besoin de ce contact pour me réconforter. Pour trouver en moi la force d’encore espérer. Rien n’était perdu. Je voulais le croire.

Effectivement la barque était large et  plate. Ils appelaient ça un bateau.
Le départ se fit rapidement, une lanterne suspendue à l’avant de l’embarcation sur une perche éclairait chichement les eaux noirâtres.
Je restais aux aguets de leurs mouvements, la direction étant confirmée par la carte.

J’aurais souhaité les cuisiner sur ce monde, sur ses habitants mais je préférais qu’ils se concentrent sur le trajet.
Tout autour de nous des racines monstrueuses grosses comme des barriques de rhum surgissaient des profondeurs  imitant d’immondes appendices reptiliens.
Dans l’eau la vie était abondante. Souvent dans le silence de notre avancée des clapotis et des éclaboussements le soulignaient. A la faveur de la lune se détachaient de temps à autres la lueur de pupilles sauvages.
J’avais reconnu une sorte d’alligator qui nous avait suivi un moment avant d’abandonner. Il était deux fois plus gros que ceux de notre monde. L’embarcation était parfaitement étudiée pour ne pas chavirer. Nous avancions à la force des bras des deux brigands qui poussaient l’esquif avec deux perches chacun d’un côté.

Je restais auprès d’Anne.

A l’horizon le ciel se parait de feu, de rose, de rouge. Comme au proie d’un incendie. Le soleil se levait.

« Combien de temps encore ? » Mon ton était sec, impatient.

Essuyant les gouttes de sueurs sur son front produit par l’effort fourni, celui qui semblait être le chef lâcha dans un murmure, terrifié de me mécontenter.


« Deux heures.  On ne peut aller plus vite. »


Depuis le temps que nous les surveillions, nous avions repéré la manipulation de l’esquif, mais nous ne savions pas encore lire les signes des méandres de ces eaux noires et puantes.

« Mettez-vous à l’avant et guidez-nous. »

Je fis signe à Rayan et à et à Kévin de prendre la place des deux larrons et tandis que le larron qui s’était fait dessus restait sous bonne surveillance, l’autre se mit  près de la lanterne et nous indiqua les endroits à éviter.
L’esquif reprit une allure plus soutenue. Les brigands étaient épuisés et je savais que leurs bras devaient être douloureux mais cela n’évoquait en moi aucune pitié. Ce n’était que peu cher payé pour avoir profité du malheur de notre fille.

Enfin, nous arrivâmes à un ponton, au bord d’un village de pêcheurs. Les maisons blanches aux toits végétaux, les filets de pêche suspendus devant, bien qu’il soit encore tôt, déjà la vie y grouillait. Quelques hommes débarquaient des paniers de poissons, des femmes lavaient du linge dans un ruisseau qui se jetait dans le marais, des enfants sortaient des maisons et regardaient dans notre direction. Ils n’avaient pas encore vu Anne, mais cela risquait de provoquer une émeute.

« Ne croyez pas que parce qu’il y a du  monde nous allons hésiter à vous tuer. Vous allez nous conduire jusqu’au bar des trois pichets et alors nous vous laisserons partir avec les gemmes. Il n’y aura pas de contre-proposition. »

La louve n’avait qu’une envie : tailler les deux brigands en pièces. Les faires disparaître en des lambeaux de chaires, broyer leur os et dévorer leur moelle. Elle rageait intérieurement d’avoir été privé de ce qu’elle avait de plus précieux. Une seconde perte dont souffrait l’humaine qui avait préféré se réfugier au fond du néant. Il n’y avait plus qu’un instinct purement sauvage, toutes ses volontés les plus primaires qu’exprimait l’animal qu’elle avait toujours été. Le pirate au Crochet la connaissait et savait que le canidé était celle qu’il aimait de sa forme la plus pure et la plus sauvage. Il l’aimait et n’avait pas peur de ses crocs ou de ses griffes. La seule chose qu’il pouvait craindre, c’était qu’elle attaque ces deux lascards et qu’ils perdent toutes chances de retrouver leur enfant.

Elle non plus, elle n’avait pas confiance en eux. Mais ils étaient leur seule poste pour l’instant. Ils ne pouvaient faire autrement que les suivre. Au moindre pas de travers, il en serait fini d’eux. Elle dévorerait sans ménagement. Même l’humaine en se réveillant n’aurait aucun regret. Il serait apparemment avantageux de prendre les chemins des eaux plutôt que les chemins terrestres. Un grognement s’échappa de la gueule de l’animal. Un avertissement clair et net : trompés nous, et vous serez mon goûter disait ce râle. La menace animale fut suivie par la menace du capitaine. Lorsque Killian posa sa main sur le col de sa bien aimée, elle le laissa faire avant de tourner la tête pour mordiller sa manche. Simple marque d’affection qui faisait moins de dégâts que si elle mordillait sa main. Elle resta ensuite à ses pieds pour aller vers la barque à fond plat. Tout cela ne lui inspirait aucunement confiance mais elle grimpa malgré tout sur l’embarcation. Lorsqu’il se mirent à naviguer, elle observa les eaux sombres, grognant à chaque fois qu’elle apercevait des paires d’yeux luisants et brillants. S’ils tombaient à l’eau : les reptiles les engloutiraient. Le trajet fut long et fatiguant pour les rameurs. Il y eut un échange de bras pour avancer plus vite. Une fois arrivée, Killian fit comprendre que le monde présent ne le rendrait pas plus clément, il voulait arriver au bar et ensuite, ils laissaient partir les deux brigands avec leur buttin.

- Le loup va attirer l’attention. On n’a pas l’habitude d’en voir de ce genre ici… Marmonna l’un des badauds.

Que voulait-il donc ? Que le capitaine laisse la louve ici ? Jamais il le ferait.

- Vous ne pouvez pas l’emmener avec vous dans les rues… Ça fera paniquer tout le monde. Au mieux ils fuiront, au pire ils nous prendront tous en chasse pour avoir emmené un démon sur leur terre.

Ledit démon montra silencieusement les crocs. Personne ne la menaçait elle, et surtout pas ses amis, ses proches.

- Demandez lui de revenir, capitaine… Demandez à Anne de redevenir ce qu’elle est vraiment… Supplia James.

Le matelot du capitaine Bonny savait qu’elle se protégeait sous cette apparence sauvage, mais il ne voulait pas d’une situation plus compliquée qu’elle ne l’était. Il serait tellement plus simple si elle redevenait humaine, si elle pouvait parler comme tout le monde. Et il préférait la voir humaine. Contrairement à Crochet, il était toujours inquiet quand elle n’était plus vraiment elle, quand elle était hors de contrôle… Il admirait son capitaine, trop peut-être, mais il n’avait pas le même courage que Killian pour avoir pleinement confiance en la louve.

- Nous ne pouvons pas la laisser seule, mais nous ne pouvons pas l’emmener avec nous apparemment… Il faut qu’elle revienne.

Je n’avais aucune confiance en ces hommes et pourtant il me fallait composer pour mettre le maximum de chance de notre côté. Un monde inconnu signifiait de nouvelles règles que nous ne connaissions pas et sans avoir les règles du jeu impossible de pouvoir aider Pearl.
Le pire serait de voir Anne mourir et de savoir en rendant mon dernier souffle que je laissais, que j’abandonnais notre fille.
Hors de question. Je chassais en serrant les dents cette idée et me reconcentrais sur la suite des évènements.
Je devais être en capacité de tous mes moyens, de toutes mes ressources, pour sauver les deux femmes de ma vie.

La voix de James me tira de mes pensées.
Oui. Bien sûr.

« Débarquez-les et faites en sorte qu’ils ne nous causent pas de problèmes. Il en va de notre survie à tous. »

Les trois marins opinèrent du chef de concert. Ils savaient que j’avais raison.
Ils quittèrent la barque plate et se mirent à l’écart des villageois. Assez près pour rester à portée de voix, assez loin pour ne pas voir ce que j'allais faire.
Resté seul sur l’embarcation avec la louve, j’ôtais ma cape et en couvrit le corps puissant de muscles et de poils noirs n’en laissant apparaître que la tête. M’agenouillant, je lui offris un sourire triste.

« Mon amour. »

Ma gorge se noua, et je déglutis pour m’éclaircir la voix.

« Je sais que tu souffres et que sous cette forme tu as l’impression d’avoir moins mal, mais il faut que tu puisses nous aider. Pour Pearl. Pour Moi. Pour nous. »

Je posais ma main sur sa tête, caressant sa joue poilue.

« Je t’aime. Tu le sais. Je t’aime comme un fou. J’aime Pearl. Tu es ma vie, mon souffle et le fruit de notre amour est quelque part dans ce monde. »

J’embrassais sa truffe chaude. J’entourai de mes bras son cou.

« Je veux te serrer contre moi, t’embrasser, sentir ton odeur, écouter ta voix. Reviens. »

Mes lèvres se posèrent de nouveau sur sa joue. Sur son museau. Je n’avais aucune crainte. Elle aurait pu me croquer, me défigurer de ses crocs et pourtant non. Aucune inquiétude ne me touchait. Nous étions un. Deux corps, deux cœurs deux êtres liés à jamais par le même amour. Un amour d’une puissance incommensurable. Indestructible. Eternel.

« Reviens mon amour. Reviens Anne. J’ai besoin de toi. »

Dans mes bras je sentais sa chaleur, j’entendais les battements de son cœur, je percevais son souffle.

« Nous sauverons Pearl. »

Et en la sauvant nous nous sauverons pareillement.

Qui savait ce qu’il se passerait s’ils laissaient la louve sans surveillance ? S’ils la laissaient sans son loup ? A coup sûr, elle partirait à sa recherche et dévorerait tous ceux qui lui barreraient le passage. James avait raison, il fallait que le capitaine Bonny revienne sous sa véritable apparence. L’humaine devait revenir au risque de rendre leur mission de sauvetage impossible. Dans cette contrée, on ne connaissait pas les loups, et en voir un d’une telle taille leur attirerait sans aucun doute de gros ennuis. Killian ordonna alors à ces matelots de débarquer leurs prisonniers, de veiller à ne pas faire de vague. Tous opinèrent du chef avant laisser leur meneur avec l’animal sauvage qui se tenait sagement assis à ses côtés.

La louve regardait son humain et le laissait s‘approcher pour poser sa cape sur son dos. Quand il s’agenouilla à sa hauteur, elle vint mordiller tendrement les boutons de sa chemise. Geste au combien affectueux et d’une douceur surprenante pour une gueule aussi grande. Lorsqu’il l’interpella, elle lâcha l’objet de son attention pour poser son museau sur sa joue. Lorsqu’ils n’étaient que tous les deux, sa rage se calmait. Elle était aussi docile qu’un adorable chiot. Complètement animal, elle ne comprenait pas ce qu’il disait, elle le savait simplement chagriné, alors elle le laissa poser sa tête sur la sienne. Elle le regardait.

Au fond de son coeur, une vague de sentiment se réveilla… L’humaine n’avait jamais été loin. Elle avait toujours été là, mais elle avait préféré se réfugier dans sa bestialité pour ne plus souffrir. Il avait raison, comme ça, elle avait moins mal. C’était lâche, elle le savait, mais elle en avait assez de souffrir, assez de voir ses louveteaux disparaître, assez d’être la mauvaise mère qu’elle était, incapable de protéger ses petits. Ô qu’elle l’aimait, elle aussi. Elle chérissait son capitaine, son pirate, son époux. Elle le laissa la caresser embrasser sa truffe, l’enlacer… Elle ne pouvait pas lui rendre son étreinte, pas sous cette forme. Mais si elle changeait d’apparence, elle aurait de nouveau mal. Elle ne voulait plus. Pourtant, la détresse de son aimé l'interpella. Elle ne pouvait pas le laisser ainsi… Qu’elle était égoïste de se laisser aller à la simplicité, de se laisser dominer par ses instincts sauvages. Sa raison chavirait entre le besoin de se protéger et de protéger Killian, de retrouver Pearl en étant humaine. Il la suppliait de revenir… D’être de nouveau sa femme. Ils devaient sauver leur fille ensemble. La louve cligna des yeux et se laissa aller contre le pirate.

Je repris doucement le contrôle de l’animal… Toujours dans le corps de la louve, j’en contrôlais les faits et gestes. La douleur me prit immédiatement à la gorge. Je souffrais de la perte de ma fille. Que j’étais bien dans mon cocon de noirceur, simple spectatrice de ce qui se passait. Mais je ne pouvais me permettre de rester dans mon coin, sans rien faire. J’avais et profondément égoïste de me réfugier dans mes instincts primaires. Je pris une profonde inspiration et quittait mon enveloppe animale pour redevenir une fragile humaine. Si la douleur m’avait étouffée en étant une louve, elle me poignardait en plein coeur en étant une femme. Un sanglot m’échappa et j’enlaçais Killian. Je me réfugiais contre lui, pleurant à chaudes larmes.

- Pardonne-moi mon amour… Pardonne-moi pour t’avoir abandonnée… Pour avoir abandonnée notre fille…

Serrant mon époux contre moi, je laissais mes émotions me noyer. Je devais déverser ce chagrin qui m’étouffait…

- Que je t’aime Killian… Pardonne-moi… Excuse-moi… Je n’ai pas ta force, je n’ai pas ton courage… J’ai été lâche… Je suis tellement désolée… J’ai besoin de toi… Nous devons retrouver Pearl… Dis-moi ce que je dois faire... Je te ferai tout ce que tu désires...

Même si elle n’avait pas compris les mots que j’avais prononcés, leur mélodie, l’émotion dans ma voix avaient réussis à la tirer de son état. Ses sanglots me déchirèrent le cœur, mais il fallait ça.
Je l’enlaçais et la serrait fort contre moi, la berçant comme l’on pourrait le faire avec une enfant.
J’embrassais ses cheveux, son front, ses joues couvertes de larmes.

« Non. Non. Il n’y a rien à pardonner. Tu ne nous as pas abandonné, tu étais toujours là. »

Je l’embrassais encore, cueillant sur mes lèvres la douceur des siennes.

« Pleure mon amour. Pleure et laisse ta tristesse s’écouler car nous allons devoir être forts pour sauver Pearl. Tu es bien plus courageuse que moi. Je t’interdis de te traiter de lâche. Les lâches sont ceux qui nous ont arraché notre enfant et crois-moi, ils vont le payer. »

A regret, car le temps pressait, je l’écartais avec douceur de ma main.
De mon pouce j’effaçais ses dernières larmes et plongeais mon regard dans le sien avant de lui assurer d’une voix ferme et résolue.

« Je t’aime mon amour. Je t’aime plus que tout. Nous allons nous lever et rejoindre nos amis et utiliser les deux brigands pour obtenir le maximum de renseignements possibles sur ce monde. Sur celui qui a enlevé Pearl. Nous ne sommes dans un monde inconnu et nous devons nous plier à ses règles. »

En effet, si nous faisions trop d’erreur et que nous nous faisions remarqués nous pouvions nous heurter aux forces de loi quelles qu’elles soient.
Dans notre monde ce n’était pas un problème, nous y étions habitués et nous en jouions régulièrement. Mais dans notre monde nous étions correctement armés, soutenus par notre équipage et maîtres de deux magnifiques navires. Ici nous étions démunis. Et notre échec entraînerait non seulement notre perte mais aussi celle de Pearl.
Je ne pouvais le concevoir.

Me relevant, je l’aidais à faire de même. J’affichais un pauvre sourire en quête du sien.

« Nous sommes ensembles et nous allons sauver notre fille. »

Chacun puisant sa force dans celle de l’autre. Chacun se nourrissant de l’amour qui mobilisait et décuplait nos ressources.

« On y va ? »

Je ne voulais pas la presser néanmoins le temps filait et avec lui les chances de rattraper le kidnappeur.

Sous mon apparence humaine, la peine me paraissait plus intense. Ma nature de louve me préservait de ces sentiments trop humains, il était si simple de me réfugier dans ma part animal pour ne plus souffrir de ces émotions, ou du moins, pour les ressentir avec moins de force. Humaine, je me sentais vulnérable et fragile… Pour l’heure, la pirate sanguinaire que j’étais, avait laissé place à la mère meurtrie. On avait rouvert une plaie du passé et on en avait aussi ouvert une nouvelle. William m’avait été arraché, après ma vengeance contre Flint, j’avais pansé ma blessure pour apprendre à vivre avec le vide laissé par mon fils. Aujourd’hui, c’était ma fille qu’on m’avait enlevé, et mon cœur ne le supportait pas.
Pourtant, grâce aux mots et au réconfort que m’apportait Killian, je choisis de quitter le confort de ma forme animale afin de revenir à lui. Me lovant contre lui, je laissais mes larmes se déverser sans aucune retenue. Je savourais chacun de ses caresses, chacun de se baiser. Son souffle sur ma peau et dans mes cheveux m’apportaient le soutien que je cherchais et dont j’avais cruellement besoin. Ses mots, je les écoutais sans pour autant y croire. Il m’idéalisait, toujours. J’avais vraiment été lâche, j’avais choisi la solution de facilité pour cesser mes préserver de la douleur. Malgré tout, je hochais la tête comme une enfant obéissante et pleurais comme il me le demandait. Les larmes finirent par se tarir et il s’écarta doucement. Il retira les larmes de mes joues avant de me regarder dans les yeux.

- Je t’aime aussi, Killian… Nous ferons au mieux pour en savoir le plus possible. Répondis-je d’une voix encore enrouée.

Les choses auraient été plus aisées dans notre monde. Là-bas, nous y connaissions les lois et les règles, nous savions comment nous jouer d’elles pour nous en sortir. Mais ici, nous ne savions rien et nous ne connaissions pas les risques que nous prenions à poursuivre celui qui nous avait enlevé Pearl. D’ailleurs, pourquoi enlever une enfant ? Comment un individu d’un autre monde avait-il eu connaissance de son existence que nous avions cachée ? Et où était Eris ? L’esprit un peu plus clair, je me rendais compte qu’il y avait plus d’un mystère à résoudre, mais ma priorité était ma fille. Tout ce que je voulais, c’était la retrouver et je ferais tout pour y parvenir.

Me levant avec l’aide de Killian, je tentais de lui rendre son sourire. Il avait raison, nous étions ensemble et à nous deux nous pouvions accomplir plus d’un miracle.

- Je te remercie pour être à mes côtés… D’être celui que tu es, de m’apporter ta force et ton courage… Je t’aime.

A présent, nous devions y aller… Je pris une profonde inspiration et hochai de nouveau la tête. Glissant ma main dans la sienne, je le laissais m’emmener vers nos amis ainsi que les deux brigands. Lorsque James me vit arriver, un sourire de soulagement naquit sur son visage et il me salua d’un signe de tête. Les deux étrangers me regardèrent avec un certain intérêt et un mauvais sourire se dessina sur mes lèvres. Je cachais mes troubles les plus profonds, mes douleurs derrière mon masque de mépris et de colère. J’avais tout intérêt à faire ressortir la pirate qui régnait dans mon âme.

- Encore un regard de ce genre, et je ferais en sorte d’offrir votre virilité aux alligators du marais. Suis-je bien claire ?

Ils me regardèrent surpris. Avant de regarder par-dessus mon épaule et celle de mon époux.

- Je suis le monstre à fourrure que vous avez vu… Au moindre pas de travers, au moindre doute, je vous dévore sans scrupule. Alors tâchez d’être aussi coopératifs que vous l’avez jusque là…

Lançant un regard en coin à Killian, je lui fis un léger sourire en coin. Il connaissait toutes les facettes de ma personnalité, tout mon caractère et savait que je pouvais être aussi douce qu'une agnelle, qu'aussi féroce que la louve....

Je ne pensais pas mériter ses remerciements. Il était tout naturel que je sois à ses côtés, comme elle était aux miens. Elle m’apportait bien plus de courage et de force que je ne pouvais lui offrir. En tout cas c’était mon opinion. Le temps n’étant plus à la discussion, je ne voulus pas polémiquer. Je me contentais donc de lui retourner le plus profond de mon sentiment.

« Je t’adore Anne. »

Plus que la tendresse, plus que l’amour, la dévotion que je lui portais était si intense qu’elle en était douloureuse.
Sans elle aurais-je lutté pour Pearl ? Me serais-je laissé sombrer dans l’apathie ? Le désespoir ? La mort ?
Elle ne s’en rendait pas compte mais elle était tout mon univers. Toute ma vie.
Si elle n’était plus je ne serais plus. J’aurais mis un terme à mon existence car elle n’aurait plus eu aucun sens.

Repoussant ces sombres pensées, j’affichais un masque neutre pour ne pas que se lise ma douleur et nous rejoignîmes les autres.
Les choses mises aux clairs par ma compagne je lançais d’une voix glaciale.

« Le temps est un luxe que nous n’avons pas. Soit vous nous êtes utiles, soit vous êtes un fardeau. Et dans ce cas nous mettons un terme définitif à notre association. »

Je jetais un regard rapide autour de nous. Nous attirions l’attention. Non seulement des enfants mais maintenant aussi des pêcheurs et de leurs compagnes qui semblaient vouloir s’approcher.
A voir nos habits, nous ne détonnions pas trop dans le paysage, peut-être un brin excentrique mais c’est tout.

« L’auberge des trois pichets est-il loin ? »

Lançant un coup d’œil autour de lui, comme à la recherche d'une échappatoire, celui qui semblait commandait avoua à contrecœur.

« Une journée à pied ou trois heures à cheval. »

A sept il nous faudrait trois chevaux ou une carriole sans certitude de pouvoir la vendre. Mais y aurait-il trois chevaux à vendre dans ce village de pêcheur ?
J’envoyais Kévin négocier, il s’y connaissait en marchandage et me paraissait le plus à même de mener cette transaction sans inquiéter les pêcheurs.
Il revint peu de temps après avec trois chevaux qui semblaient plus destinés à tirer des charrues qu’à mener des hommes aux combats, mais ils seraient parfait pour supporter deux hommes et passer là où une charrette ne pourrait pas.

« Rayan, tu viens avec nous,  Kevin tu prends celui-là et James l’autre. »

Aidant mon mousse à monter en croupe, je mis mon pied dans l’étrier et me plaçait avant de tendre ma main à Anne.
Je préférais qu’elle soit derrière moi. Sentir sa chaleur contre ma peau, et surtout la protéger de mon corps. Faire rempart entre elle et ce que nous allions affronter.

Les brigands placés devant nos compagnons pour ne pas qu’ils puissent se laisser tomber de cheval  ou nous la jouer à l’envers, je donnais le signal du départ. Si dans trois heures nous n’étions pas devant l’auberge des trois pichets, ils mourraient. Ils étaient prévenus et je n’hésiterai pas mettre ma menace à exécution.

Dans les moments les plus sombres, Killian éclairait mon chemin. Il m'empêchait de me laisser dépérir, de me laisser aller à mes émotions les noires. Il avait connaissance de mes blessures passées, et savait à quel point certaines situations pouvaient m'affecter plus que d'autres. Mon équipage ignorait tout de ma vie passée, et ne savait rien de l'existence de William, ce premier enfant enlevé, arraché à mes bras alors que j'étais bien plus jeune. La disparition de Pearl n'avait fait que raviver ce douloureux souvenir, et je m'étais réfugiée dans la part la plus animale de mon être. Mais mon Aimé m'avait ramenée et m'avait épargnée une vie complètement sauvage, loin de tous ceux que j'aimais. Je ne pouvais que le remercier pour ses mots et sa présence.

Je le suivais jusqu'à nos matelots et les trois bandits, faisant comprendre que je n'étais pas une femme qu'ils pourraient malmener ou duper, rappelant ainsi que la bête qu'ils avaient vue n'étaient autre que moi. Au moindre pas de travers, je les tueras, je rongerais leurs os jusqu'à la moelle et je les ferais disparaître sans aucune difficulté. Je laissais Killian parler, poser ses questions qui étaient les miennes. Du coin de l'oeil, je regardais les alentours. Les habitants de la contrée nous observaient avec curiosité mais sans animosité. C'était déjà ça...

Trois heures de chevauché ? Cela me paraîtrait être une éternité, mais une éternité bien moins longue qu'une journée entière. Kevin partit rapidement négocier des chevaux, il put nous trouver trois chevaux de trait qui ne peineraient aucunement à supporter le poids de plusieurs cavaliers. Le capitaine Crochet reprit son rôle de meneur, il répartit les groupes et me tendit la main pour que je vienne derrière lui. Sans broncher, je saisis ses doigts et me hissais sur le dos de la jument. J'entourais sa taille de mes bras et posai ma joue contre son dos. Je regrettais encore d'avoir cette jupe au lieu de mes traditionnels pantalons, mais j'avais voulu être jolie pour l'anniversaire de ma fille, alors je me retrouvais dans une tenue peu adéquate pour l'aventure... Assise ainsi à califourchon sur le dos de notre monture, mes chaussures et mes jambes jusqu'au mollet se retrouvaient à la vue de tous. Je croisais à le regard de l'un de nos prisonniers poser sur moi avec air fiévreux d'un certain désir incontrôlé. Lorsque ses yeux se posèrent sur mon visage, je lui montrais l'ambre de l'iris de la louve pour lui rappeler qui j'étais. Il avait de la chance de ne pas être vu par Killian, nul doute qu'il aurait guère apprécié ce genre de regard...

Nous nous mîmes alors en route, je laissais mes sens en éveil, à l'affut du moindre bruit suspects qui m'indiqueraient un piège ou autre mésaventure...

- Killian ? Il y a du mouvement à droite... Trois personnes peut-être, ou quatre ? Chuchotai-je.

Soudain, trois individus à la peau sombre sortirent de nulle part pour nous barrer le passage. Ils avaient l'allure de sorciers sauvages, ou quelque chose comme ça. Ils ne nous regardaient pas hostilité, mais avec curiosité et une légère méfiance... Ils étaient armés de coutelas laissés à leur ceinture. Pour l'instant, ils n'étaient pas des ennemis, juste des passants qui avaient l'air de vouloir savoir qui nous étions.

- Vous traverse notre territoire. Pourquoi ?